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Comment expliquer la disparition, en deux semaines, de 70 % des antilopes Saïga du monde ?

RTEC Edition

Comment expliquer les récentes extinctions massives et mystérieuses de l'antilope des steppes centrales ? Autrefois l'une des antilopes dont les populations étaient les plus nombreuses au monde, 70 % de sa population s'est éteinte en seulement deux semaines en mai 2015. Résultat : le saïga est maintenant en danger critique d'extinction avec seulement 150 000 individus...

 

Le saïga (antilope en russe), saïga tatarica, est une espèce d'antilopae de taille moyenne, somme toute étrange à la fois sur le plan morphologique, une silhouette frêle et gracieuse à laquelle s'ajoute un fort étrange museau en forme de trompe (qui joue en réalité un rôle de « contrôleur thermique »), mais aussi au niveau de son comportement. En effet le saïga est la dernière espèce de mammifère migratrice des grandes steppes centrales eurasiatiques caractéristiques de part leur climat rigoureux et les importantes amplitudes thermiques qu'elles présentent. Plus largement le saïga est une des dernières espèces survivantes de l'ère glaciaire de Würm, qui vit s'éteindre de nombreux animaux emblématiques comme l'ours des cavernes ou bien encore les fameux mammouths laineux.

 

Une population en fort déclin déjà soumise à d'importantes pressions

 

Mais la survie du saïga est à nouveau aujourd'hui gravement menacée. De façon générale son aire de distribution n'a cessé de reculer depuis plusieurs siècles voire millénaires (son aire de répartition géographique englobait ainsi même l'Europe occidentale durant le Pléistocène). Un recul constant jusqu'à ce que l'espèce se retrouve cantonnée aux grands espaces ouverts des steppes arides continentales principalement au Kazakhstan, en Ouzbékistan, en Russie (notamment dans la république de Kalmoukie) et en Mongolie, où une population résiduelle de quelques centaines d'individus de la sous-espèce mongolica survit.

 

Malgré ce déclin, leur nombre était encore relativement important avec plus d'un demi-million d'individus dans les années 1980 (et plus du double encore quelques années auparavant et quelques deux millions dans les années 1950), qui venaient grossir les rangs des troupeaux lors des migrations annuelles. Ce nombre fut rapidement réduit des trois quarts après la chute de l'URSS, en raison de l'abatage massif conjugué à l'extension des surfaces cultivées dans certaines régions des pays nouvellement indépendants (alors que paradoxalement le secteur agricole s'effondrait en Russie). Cette diminution drastique en à peine une décennie, a précipité la prise de décisions et de mesures visant à préserver l'espèce.

 

La population a continué à décliner jusqu'à passer nettement sous la barre des 50 000 individus pour atteindre son niveau le plus bas, estimé à seulement 21 000 individus en 2003. Néanmoins en raison de la fécondité importante (naissance le plus souvent de jumeaux) de l'espèce, le saïga dispose d'une forte capacité à renouveler assez rapidement ses populations lorsque les conditions sont propices. Ainsi après que plus de 95% des individus furent exterminés durant les années 1990 après la chute de l'URSS, une étude de 2014 faite par le gouvernement kazakh montre qu'il restait alors de 200 000 à 250 000 saïgas dans le pays, qui dispose ainsi du cheptel mondial le plus important.

 

Cependant le saïga est toujours fortement menacé par le braconnage de masse, pour sa viande mais surtout car les cornes de l'antilope (des mâles, ce qui entraîne un déséquilibre des populations entre les sexes) sont très prisées par la médecine chinoise qui leur prête des vertus médicinales supposées notamment détoxifiantes, une efficacité contre l'hypertension, la toux... Il est d'ailleurs surprenant de voir que la WWF (World Wildlife Foundation) avait elle même mené une campagne pour tenter de « promouvoir » (elle fit marche arrière dès 1995 mais le mal était fait) auprès des marchés asiatiques et notamment chinois, les cornes de saïgas comme remède alternatif à la corne des rhinocéros, qui étaient à l'époque bien plus menacés. Le résultat est là, les espèces concernées sont aujourd'hui toutes proches de l'extinction.

 

La mort d'innombrables individus inexpliquée

 

Mais malgré ces alertes et tentatives plus ou moins fructueuses de mesures (qui permirent néanmoins aux populations de se reconstituer quelque peu), la situation du saïga s'est brutalement aggravée durant l'année 2015. Une violente épidémie a sévit principalement au Kazakhstan, et a frappé tous les individus quel que soit leur sexe, âge, état de santé avec un chiffre terrible de mortalité de 100%. Des troupeaux entiers ont été rayés de la carte.

 

Les symptômes sont toujours les mêmes : diarrhées, difficultés respiratoires, hémorragies internes puis mort invariablement. Les cadavres sont enterrés à la hâte pour tenter de limiter la propagation de l'épidémie dévastatrice. Les estimations des pertes n'ont cessé de croître. On passe ainsi de 85 000 morts à 120 000 (moitié de la population du pays) puis 145 000, pour atteindre finalement au moins 211 000 morts, soit près de 90 % des populations estimées du Kazakhstan et environ 70 % de la population mondiale de saïgas survivant à l'état sauvage.

 

D'autres épisodes de morts soudaines avaient déjà été constatés chez cette espèce, mais celui de 2015 est le plus brutal (même comparé à d'autres espèces) de tous, surtout au regard de la situation fragile de cette antilope. On parla ainsi de :

 

500 spécimens morts en 2011,

12 000 en 2010,

et tout de même 100 000 en 1984 (mais où à l'époque leur nombre était bien plus important qu'aujourd'hui, comme durant l'hiver rigoureux 1971-1972 où peut être plus de 400 000 saïgas moururent de faim).

Ces phénomènes morbides (notamment pour les épidémies) multiples se déroulent lorsque que les saïgas se regroupent pour la période des mises bas, qui est concentrée sur un espace temps très réduit d'une semaine, et où les individus sont donc rassemblés de manière très dense.

 

 

 

La piste d'une bactérie devenue mortelle

 

Des hypothèses variées, parfois farfelues (explosion d'une fusée) ont été données pour tenter de trouver une explication à cette hécatombe. Mais de manière globale les modifications par l'action de l'homme de l'écosystème de l'espèce ont été pointées du doigt par les experts.

 

On sait ainsi que l'assèchement de la mer d'Aral provoque des amplitudes thermiques plus importantes dans la région, car celle-ci ne peut plus jouer, en raison de sa taille réduite, son rôle régulateur.

 

De plus il est supposé que, du fait de l'effondrement récent des populations de saïgas, le patrimoine génétique de l'espèce s'est affaibli rendant celle-ci plus sujette aux maladies et infections. Des études sont également menées pour déterminer le rôle que joue la consommation de l'armoise dans la lutte contre les parasites de l'espèce.

 

Une conférence scientifique, accompagnée de représentants des Nations Unies, fut organisée à Tachkent en novembre 2015  pour tenter de comprendre les raisons de ce dramatique phénomène. Les éléments qui en ressortent sont qu'une conjonction de facteurs serait à l'origine de cet épisode mais que le changement climatique, qui provoque des hivers plus rudes, des étés caniculaires et une alternance plus marquée entre sécheresse et violentes tempêtes printanières, jouerait un rôle non négligeable. De plus on a relevé une baisse soudaine et inhabituelle des températures en mai alors que les saïgas avaient déjà perdu leur manteau d'hiver. Cela a contribué à affaiblir la population de saïgas, et a probablement engendré un stress chez les individus.

 

Cet affaiblissement conjugué au changement climatique a peut-être permis à la classique et relativement peu dangereuse bactérie pasteurella, de se muer en un ennemi beaucoup plus redoutable : une variante dénommée pasteurellosi, qui aurait déjà été à l'origine d'une épidémie en 1988.

 

Effectivement, les résultats des recherches et des analyses menées par les scientifiques (comme Sergey Sklyarenko directeur du centre pour la conservation biologique en Russie) sur les carcasses des animaux morts ont confirmé cette hypothèse. La responsable est bien la bactérie Pasteurella multocida, qui engendre des septicémies et des hémorragies internes mortelles en quelques heures pour les antilopes contaminées. Demeure une inconnue majeure : pourquoi cette bactérie qui infectent d'autres bovidés a t-elle provoqué une épidémie si foudroyante, avec un taux de mortalité de quasi 100% des individus contaminés ? Les chercheurs essayent encore actuellement de trouver une explication à ce phénomènes, tandis que les autorités des pays où survivent encore des saïgas sont soutenues dans leurs démarches visant à protéger du braconnage les individus encore vivants.

 

Les politiques entreprises pour sauver l'espèce de la disparition

 

En raison de l'effondrement spectaculaire et rapide de ses populations, parmi les plus sinon le plus significatif chez les mammifères ces dernières décennies, à cause surtout du braconnage, l'espèce est considérée actuellement en « danger critique d'extinction » et inscrite sur la liste rouge de l'IUCN depuis 2002.

 

Les premières mesures de protection après l'effondrement des populations dans les années 90 menées par la Russie, le Kazakhstan, L'Ouzbékistan, la Mongolie et le Turkménistan, et la vigoureuse fertilité de l'espèce lui ont permis durant les premières années de ce nouveau siècle, de remonter quelque peu la pente, avec une population, nous l'avons déjà mentionné, estimée à quelque 250 000 individus pour le seul Kazakhstan et un peu plus de 350 000 pour la population totale.

 

La convention (convention de Bönn) des Nations Unies pour la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, avec l'appui des scientifiques a organisé cette année, en réponse à l'effondrement de l'espèce, une nouvelle réunion (une précédente réunion qui regroupait les États et structures (telles que les ONG) impliquées dans le plan de sauvegarde de l'espèce avait été organisée en septembre 2010 en Chine) pour que soit défini un programme pour comprendre les fluctuations de populations, et sauver le saïga.

 

Des actions multiples seront menées avec tout d'abord une attention particulière apportée à la mise en place de nouvelles mesures (espérées coordonnées) pour réduire le braconnage, de même qu'une coopération scientifique pour tenter de mieux cerner les raisons de ce déclin sans précédent. Des efforts seront également portés pour que le développement rapide des infrastructures (mines, routes, voies ferrées, barrières frontalières) qui nuisent fréquemment à l'environnement et coupent les routes migratoires des saïgas, soient mieux contrôlées (notamment au niveau de la frontière entre le Kazakhstan et l'Ouzbékistan).

 

Le « Memorandum sur l'Antilope Saïga » (ou dans sa dénomination originelle « the Memorandum of Understanding Concerning Conservation, Restoration and Sustainable Use of the Saiga Antelope ») avait déjà été signé au préalable en juin 2009. Il se voulait être un support officiel efficient pour enrayer la disparition des saïgas. Il fut ratifié en septembre de la même année par les cinq pays où l'antilope survit encore aujourd'hui mais en revanche n'inclut pas la Chine. Il faut remarquer que les politiques initiées par ce memorandum ressemblent grandement à celles préconisées cette année en réponse à la vague épidémique mortelle qui frappe l'espèce. Ce partenariat était soutenu par la première alliance dédiée au saïga, à savoir « l'Alliance pour la conservation de l'Antilope saïga » créée au début des années 1990 (actuellement dirigée par Eleanor Milner Gulland), et qui est constituée d'un réseau de chercheurs, de scientifiques et de passionnés, qui ont consacré une partie de leur temps et toute leur énergie à promouvoir ce réseau pour que la lumière soit braquée sur la situation dramatique de cette espèce, et la nécessité de mettre en plus des mesures de protection rapides et efficaces. Ce mouvement a enfin été officialisé lors de la ratification du Memorandum, où il a obtenu son statut de partenaire auprès du « Wildlife Conservation Network ». Il oeuvre donc via ses travaux et conclusions scientifiques pour que des actions concrètes soient menées sur les derniers espaces sauvages peuplés par l'antilope des steppes eurasiatiques.

 

Sauver le saïga demeure un épineux problème, conjonction d'un ensemble de facteurs anthropiques plus ou moins directs. Le problème actuel majeur est que même si le braconnage est freiné et que son territoire est davantage préservé, il se peut que les quelques 150 000 saïgas restants ne suffisent pas à sauver l'espèce. En effet si la menace épidémique demeure, si la proportion entre mâles et femelles est trop déséquilibrée et si le patrimoine génétique de l'espèce s'en trouve trop appauvri, les chances de survie de l'espèce pourraient être faibles.

 

Restent comme lueurs d'espoir : la fécondité importante de l'espèce, le fait qu'elle ait surmonté d'autres crises majeures dans le passé ou que des plans de sauvegarde innovants soient mis en place. Ainsi comme ce fut le cas pour le cheval de Przewalski (lui aussi habitant originel des steppes eurasiatiques), il est envisagé un plan de réintroduction et de restauration des populations de saïga en Europe de l'Est. Soutenu par l'ONG « Rewilding Europe », ce projet pourrait permettre de consolider les populations de saïgas dans des espaces mieux protégés, contrôlés, notamment vis à vis du braconnage. Reste maintenant à savoir si la pandémie actuelle tendra à diminuer ou continuera ses ravages.

Source : notre-planete.info, http://www.notre-planete.info/actualites/4448-mortalite-massive-antilopes-saiga

 

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